A l’occasion du dernier Bilan national des entreprises réalisé chaque année par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, les équipes de Xerfi Spécific, ont dressé une vue rétrospective large sur l’économie française. Sur l’ensemble de l’année, 611 264 immatriculations au Registre du Commerce et des Sociétés (hors Moselle et Alsace) ont été comptabilisées, soit une progression de 30,3 % par rapport à l’année 2020. Etat des lieux.
Sophie Jonval, Présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce donne le ton : « En ce début d’année, à la lecture du BNE 2021, nous ne pouvons que nous réjouir de la confirmation de la relance de notre entrepreneuriat. Celui-ci a été soutenu tout au long de la crise par les dispositifs d’aide mis en œuvre par le gouvernement, avec l’appui d’une justice commerciale moderne, restée toujours accessible et agile. L’entrepreneuriat a aussi bénéficié du plan d’action de sortie de crise auquel la profession de greffiers de tribunaux de commerce a pleinement pris part ».
Une reprise économique très porteuse pour l’entrepreneuriat
Entre janvier et novembre 2021, 540 935 entreprises ont été créées, soit une hausse de 34 % par rapport à la même période en 2020. Une croissance significative qui résulte d’un entrepreneuriat particulièrement dynamique entre mars et juin 2021, suivant une tendance en miroir du trou d’air provoqué par le premier confinement de mars 2020. Une dynamique positive qui vient s’ajouter aux indicateurs qui illustrent la fertilité de l’économie française, avec une puissante poussée des embauches et une vive reprise de l’investissement des entreprises.
La dynamique entrepreneuriale est particulièrement marquée pour les entreprises individuelles dont les microentreprises, qui représentent plus du tiers des entreprises créées entre janvier et novembre 2021 avec près de 200 000 entités, suivant une progression de 48 % par rapport à 2020. Une tendance qui confirme l’attrait des Français pour l’auto-entrepreneuriat, porté par l’essor de la livraison à domicile et du e-commerce.
Un tissu entrepreneurial en mutation
Le transport s’impose en tête des secteurs les plus porteurs pour la création d’entreprises, avec un nombre d’immatriculations quasiment multiplié par deux sur la période, à un an d’intervalle. Un secteur également marqué par un fort turnover, avec un nombre de radiations qui connaît la plus forte hausse de 2021 (+ 97 % par rapport à 2020). L’enseignement, la santé et l’action sociale figurent en deuxième position des secteurs les plus dynamiques avec une augmentation de près de 50 % du nombre d’entreprises créées.
Des disparités régionales se confirment en 2021. Les Hauts-de-France semblent connaître un profond changement de son tissu entrepreneurial : locomotive de la création d’entreprises du pays avec une croissance de 40,8 % entre 2020 et 2021, la région figure aussi en tête de l’augmentation des radiations (+ 64 %, soit plus de 20 points au-dessus de l’Occitanie, deuxième région du classement). La région Auvergne-Rhône-Alpes affiche de très bons résultats, avec une hausse de plus de 40 % du nombre d’entreprises créées sur le territoire sur 11 mois, et une augmentation de seulement 6,5% de ses radiations, le deuxième taux le plus faible du pays.
Gel des défaillances et explosion des radiations
L’économie française a de nouveau fait la démonstration de sa résilience : les défaillances d’entreprises ont poursuivi leur chute malgré l’arrêt progressif de certains dispositifs de soutien des entreprises. 21 461 ouvertures de procédures collectives sont enregistrées entre janvier et novembre 2021, soit une baisse de 14 % par rapport à 2020 et 46 % par rapport à 2019.
À l’inverse, les radiations n’ont jamais été aussi nombreuses, portées à 262 919 sur les 11 premiers mois de 221, en hausse de 31 % à un an d’intervalle. Ces radiations résultent en majorité d’une décision volontaire du chef d’entreprise, qui préfère mettre fin à son activité avant la fin des mesures d’aide et le risque voir sa situation se dégrader fortement.
Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, souligne : « Cette année nous aura permis de confirmer l’agilité du service public de la justice commerciale, capable de répondre efficacement aux besoins des entreprises et de soutenir la puissance publique dans son action. Face à l’incertitude qui perdure, les chefs d’entreprises doivent pouvoir bénéficier de solutions d’accompagnement hybrides, associant le meilleur du numérique à un maillage territorial de proximité. C’est là tout le sens de l’action des greffiers des tribunaux de commerce, mobilisés pour une économie toujours plus innovante et sûre ».
2021 a en effet été l’année du rebond de l’économie mondiale, après le plongeon historique provoqué par la pandémie de Covid-19. Après avoir enregistré une chute de 3,5% en 2020 (la plus forte de l’après-guerre), le PIB mondial devrait avoir progressé de 5,5% en 2021, selon les estimations de Xerfi, d’abord porté par le dynamisme de la croissance aux États-Unis, puis par la reprise en Europe, notamment avec la levée des dernières restrictions sanitaires au 2e trimestre. Ce fort rebondissement a permis au PIB global de retrouver son niveau d’avant pandémie et de le dépasser légèrement en fin d’année dernière. L’impact de la crise sanitaire sur l’économie mondiale aurait été beaucoup plus grave sans les injections massives de liquidité des banques centrales et sans le soutien budgétaire des États. Ce dernier s’est élevé à plus de 16 000 milliards de dollars depuis le début de la pandémie selon une estimation du FMI. Par ailleurs, les interventions publiques, ainsi que l’accès à la vaccination, constituent d’importants facteurs de clivage entre la capacité de rebond des économies de l’OCDE, d’une part, et des pays émergents et en voie de développement d’autre part. Ces derniers disposent en effet de marges de manœuvre plus réduits en matière de politique monétaire et budgétaire et leurs économies sont plus exposées aux risques de nouvelles vagues de la pandémie en raison d’un taux de vaccination bien inférieur à celui des pays de l’OCDE.
Une croissance mondiale mais aussi des prix
2021 a été aussi l’année d’un autre rebond : celui des cours des matières premières. La reflation de l’économie mondiale via la courroie de la hausse des prix des matières premières est devenue une réalité. Si depuis le point bas de juin 2020, les cours des céréales comme des métaux ont fortement progressé, c’est du côté du pétrole que la flambée est la plus spectaculaire avec des cours du Brent passés de 20 à plus de 80 dollars le baril en l’espace d’un an. Ce sont essentiellement les contraintes pesant sur l’offre qui ont initié le mouvement : perturbations climatiques affectant les récoltes, contraction de l’offre minière sous l’effet des mesures sanitaires et des grèves, durcissement des quotas de production par l’Opep, etc. Des facteurs transitoires pour l’essentiel, laissant entrevoir une inversion de tendance vers la fin de 2021. Le scénario d’un nouveau super-cycle d’augmentation des prix des matières premières ne nous paraît pas d’actualité. Les fortes hausses de cours observées en 2021 doivent en effet être relativisées car elles sont calculées par rapport à une base de prix extrêmement faible, c’est-à-dire les cours moyens de 2020, au cœur de la pandémie. En outre, pour valider la mise en place d’un nouveau super-cycle des matières premières, similaire à celui de 2010-2012, il faudrait une frénésie de demande qui n’est pas encore au rendez-vous. La consommation mondiale de pétrole, par exemple, est toujours inférieure à son niveau d’avant pandémie, en raison notamment de la crise durable du transport aérien. Or, la normalisation progressive de la production et le ralentissement déjà constaté de l’économie chinoise devraient inverser la tendance. Après avoir été à l’origine de l’apparition de tensions inflationnistes partout dans le monde l’année dernière, les matières premières devraient avoir un rôle modérateur sur l’évolution des prix en 2022.
Des tensions inflationnistes, temporaires
À l’échelle mondiale, l’inflation a franchi à la fin de l’année dernière le seuil des 10%. Aux ÉtatsUnis, elle a frôlé les 7% en novembre et en Europe, elle a approché la barre des 5%. En France elle s’est élevée à 2,8% en novembre dernier, touchant un pic depuis septembre 2008. Cette envolée a déjà contraint le gouvernement français à anticiper la revalorisation du SMIC de 2,2% le 1er octobre dernier. La composante énergétique explique presque la totalité de cette envolée, les autres composantes restant beaucoup plus sages. D’ailleurs, le scénario d’une accélération durable des prix à l’échelle mondiale n’est pas retenu par les marchés, ce dont témoigne la récente détente des taux longs obligataires, alors même que l’inflation bat des records. Les marchés parient au contraire sur les pressions concurrentielles pour calmer cette poussée de fièvre. Une légère et durable hausse de l’orbite de l’inflation, aux États-Unis comme en Europe, est néanmoins probable. Sans que l’on puisse parler de boucle prixsalaires, les hausses salariales embraient un peu partout. On pourrait donc assister à un double mouvement de légère hausse des taux d’intérêt et de l’inflation, les taux réels demeurant en zone négative : le meilleur scénario pour éroder en douceur la dette Covid.
Un socle de croissance autonome dans la zone euro
Tout au long de l’année passée, la zone euro a fait face à un environnement international de plus en plus délicat (Chine et pays émergents au ralenti, États-Unis en décélération, Royaume-Uni à la traîne) en jouant sur ses propres forces. De fait, tous les pays de la zone sont embarqués dans une puissante récupération. Avec la reprise des services et du tourisme, la plupart des pays du Sud connaissent une reprise vigoureuse. Par ailleurs, les constats sont à peu près les mêmes pour tous les pays de l’union monétaire : résistance du socle d’emplois, du revenu des ménages et taux d’épargne exceptionnellement élevé. La consommation dispose ainsi d’importantes munitions pour projeter le PIB de la zone au-dessus de ses niveaux d’avant-crise dès le troisième trimestre et consolider la dynamique en 2022. De façon inégale, l’investissement embraie dans nombre d’économies confortant les chances d’une reprise auto-entretenue.
En France, une hausse du PIB de près de 7% en 2021
Le PIB de la France a quant à lui rebondi de 6,7% l’année dernière, après avoir chuté de 8% en 2020. L’économie française, qui avait été particulièrement affectée par les mesures sanitaires restrictives paralysant des pans importants de l’activité en 2020, a ainsi connu une reprise plus forte que l’économie mondiale en 2021. Cette reprise s’est accentuée durant l’été. En hausse de 3% au 3e trimestre, le PIB est quasiment revenu à son niveau d’avant crise, en avance par rapport aux prévisions. Même si la croissance devrait ralentir nettement dès le quatrième trimestre, le PIB de la France devrait dépasser de 0,5% son niveau pré-pandémique à la fin de 2021, ce qui était encore totalement inespéré il y a quelques mois. L’analyse des contributions des composantes du PIB montre un rattrapage très vif de la consommation des ménages, principalement dans les services. Le mouvement a été plus particulièrement marqué dans l’hôtellerie-restauration, secteur à l’origine de la moitié de la croissance trimestrielle. De fait, comme après chaque période de restrictions depuis le début de la crise sanitaire, le redressement s’est appuyé avant tout sur un franc rebond de la demande intérieure lié à la réouverture des secteurs entravés.
Une distillation lente de l’épargne vers la consommation
Le maintien jusqu’à la mi-mai de contraintes réglementaires, telles que couvre-feu, fermeture des établissements culturels et surtout des restaurants et bars, a empêché une reprise rapide de la demande des ménages. Il a fallu patienter jusqu’à la levée des restrictions sanitaires pour voir la consommation accélérer sensiblement (+5% au 3e trimestre). Toutefois, malgré ce bond en avant, la demande des ménages reste en retrait de près de 1% de son niveau pré-crise et ne le restaurera qu’au début 2022. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les Français ont mis de côté 157 milliards d’euros de plus que d’habitude selon la Banque de France et ce surcroît d’épargne, en grande partie « forcée » par les confinements et les restrictions sanitaires, ne cesse d’augmenter au fil des mois. À la fin 2021, il devrait avoir atteint l’équivalent de 11% du revenu annuel des Français. Les ménages ont donc globalement les réserves nécessaires pour dépenser.
Cependant, enquêtes après enquêtes, ces derniers montrent une certaine frilosité quant à l’opportunité d’injecter rapidement ce surplus d’épargne dans la consommation. Après avoir touché le fond en avril 2020, la proportion de ménages estimant qu’il est opportun de faire des achats importants s’est certes redressée, mais elle se contracte à nouveau depuis juin dernier, tandis que le solde d’opinion relatif à l’opportunité d’épargner demeure à un niveau anormalement élevé. Les ménages profitent de cette manne pour renforcer leur position patrimoniale (ce dont témoignent les chiffres dynamiques du marché immobilier) et une importante réserve de consommation dort sur les comptes courants. En somme, c’est une distillation lente de l’épargne vers la consommation qui a commencé l’année dernière. Après avoir plongé de plus de 7% en 2020, elle a rebondi de 4,6% cette année, selon nos estimations, soit à un rythme plus faible que le PIB. En revanche, en 2022 la consommation devrait afficher une hausse supérieure à 5%, tandis que la croissance du PIB ralentira à moins de 4%.
Résistant en 2020, le pouvoir d’achat est reparti à la hausse l’année dernière
Le pouvoir d’achat des ménages est d’ailleurs reparti à la hausse en 2021 (+1,7% selon nos estimations), après avoir résisté à la chute du PIB en 2020. Les différents mécanismes d’aides mis en place par l’État ont permis d’amortir les pertes de revenus en 2020. Ainsi, alors que le PIB s’enfonçait de 8%, le pouvoir d’achat par unité de consommation s’est maintenu au même niveau de 2019.
Cette performance globale masque cependant une forte polarisation entre, d’un côté, les ménages dont les ressources sont uniquement des revenus de transferts (retraités principalement) ou dont la rémunération a été préservée, que ce soit grâce aux possibilités offertes par le télétravail ou par leurs statuts (agents publics), et de l’autre les personnes soumises à des contrats précaires ou dont les revenus sont uniquement liés à leur activité (indépendants, autoentrepreneurs…).
En forte accélération fin 2020, la progression du pouvoir d’achat s’est temporairement arrêtée au début 2021. Les limitations d’activité dans certains secteurs ont pesé sur les revenus d’une partie de la population. Avec la levée des restrictions à la fin du printemps, les clignotants sont repassés au vert avec une nette accélération des revenus, d’autant plus que des moteurs d’appoint comme les dividendes versés et les intérêts issus de l’épargne financière accumulée en 2020 se sont allumés. La hausse du pouvoir d’achat des ménages a été également fortifiée par la reconduction décidée en mars dernier du dispositif de prime exceptionnelle de pouvoir d’achat auquel s’ajoute le premier dégrèvement de la taxe d’habitation pour les 20% des ménages les plus aisés. Seul bémol, l’accélération de l’inflation est venue grignoter une partie de la progression des revenus.
L’emploi a fait mieux que récupérer
Principal facteur de la reprise du pouvoir d’achat, l’emploi a fait preuve d’un remarquable dynamisme en 2021. Potentiellement, sans soutien public, une crise de cette ampleur aurait pu détruire plus d’un million d’emplois à terme. Or, alors même qu’au troisième trimestre le PIB de la France était tout juste revenue à son niveau de fin 2019, les effectifs salariés surplombaient déjà de 270 000 unités leurs niveaux d’avant crise, portés en particulier par quelques secteurs phares, comme le numérique et la santé. Non seulement la digue de l’emploi n’a pas rompu mais nombre d’entreprises ont embauché en CDI et CDD longs, dans la construction, la santé, l’action sociale, le B-to-B de pointe, ou encore le numérique, tandis que des pans entiers de l’économie sont loin d’avoir retrouvé leurs niveaux d’avant-crise (hébergement, loisirs, matériels de transport, habillement, etc.).
La vigueur du mouvement de reprise et les fortes asymétries entre les savoirfaire détruits et ceux générés par la crise, ont exacerbé les difficultés de recrutement, qui ont atteint des plus hauts historiques ces derniers mois alors même que le chômage est resté élevé (7,6% de la population active en octobre dernier).
Les recrutements en CDI révèlent d’ailleurs que les entreprises sont en train de se repositionner de façon durable sur les nouveaux débouchés favorisés par la crise sanitaire. La rapide récupération des secteurs de services les plus impactés par la crise, et encore freinés par le passe sanitaire, conjuguée au repositionnement des entreprises sur de nouveaux segments de marché, devrait propulser l’emploi à un niveau bien supérieur à celui d’avant-crise en 2022. Un ajustement des capacités demeure cependant inévitable dans les entreprises pour lesquelles un rattrapage d’activité est hors de portée à moyen terme, ou pour celles qui affronteront une baisse de régime après la phase d’engouement de crise. L’impact sera néanmoins amorti par la mise en place du dispositif d’activité partielle de longue durée. Dans ce contexte, le taux de chômage devrait continuer sa décrue, d’autant les dispositifs d’apprentissage, d’accompagnement et de formation des chômeurs tournent à plein régime.
Des entreprises offensives notamment en matière d’investissement
En progression de plus de 12% en 2021 (d’après nos estimations basées sur les chiffres des trois premiers trimestres de l’année), l’investissement des entreprises – poussé par l’impact de la digitalisation rendu quasiment incontournable – a affiché une hausse bien plus forte que prévue. Une bonne surprise qui fait déjà suite à une année 2020 durant laquelle sa capacité de résistance avait déjoué tous les pronostics. Le soufflé devrait progressivement retomber en 2022, en phase avec le ralentissement de l’activité et de la demande adressée aux entreprises, mais l’investissement se sera alors déjà recalé sur sa tendance de long terme. Quatre forces sont à l’origine de cette performance surprenante des investissements pendant et immédiatement après la crise sanitaire. Le soutien massif aux trésoreries et le contexte de taux bas ont permis à une partie des projets déjà programmés d’aller à leur terme. La réduction de 10 milliards d’euros des impôts à la production a également joué en ce sens. Les besoins de numérisation se sont ensuite accélérés avec la crise sanitaire (télétravail, maintien de la communication interne, conservation du lien avec les clients, etc.).
Enfin, la composante immatérielle de l’investissement, dénommée « service de l’investissement » représente une part de plus en plus importante des investissements des entreprises. Cette composante incontournable, affectée pour l’essentiel à la masse salariale des services de R&D, de programmation informatique ou de design, n’a pas pu être significativement ajustée et s’élève d’année en année de façon quasi structurelle. ■ O.B
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