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Contrôle des investissements étrangers dans l’UE

par Magazine des Affaires

Contrôle des investissements étrangers dans l’UE : tendances récentes et regards croisés allemand, italien et espagnol

Par Orion Berg, associé Contrôle des Investissements Etrangers White & Case, et en collaboration avec Alix Quersonnier.

Le contrôle national des investissements étrangers dans les secteurs sensibles et stratégiques est actuellement en pleine transformation. La tendance est au renforcement des dispositifs de contrôle existants et l’adoption de nouveaux régimes par des pays qui n’en disposaient pas. Les tensions géopolitiques et la crise du Covid 19 ont suscité la crainte que des investissements « prédateurs » viennent cibler certains secteurs ou entreprises considérés comme stratégiques et fragilisés par la situation sanitaire. L’expansion du contrôle des opérations M&A pour des considérations de sécurité nationale ou de protection des infrastructures critiques est particulièrement marquée dans l’Union Européenne où 18 Etats Membres ont désormais mis en place un contrôle effectif. La France participe à ce mouvement avec le renforcement du contrôle opéré par la loi PACTE et un décret de décembre 2019. Cette vigilance accrue se constate également chez nos voisins en Allemagne, en Italie et en Espagne, trois pays d’attention pour les investisseurs français, dont nous proposons de détailler les principales tendances.

I.Extension significative des secteurs sensibles contrôlés

Dans les trois pays, les secteurs contrôlés s’étendent désormais bien au-delà des activités sensibles « traditionnelles » liées à la défense nationale ou à la sécurité publique. Les principaux secteurs couverts sont similaires : défense et biens/technologies à double-usage, santé publique, énergie, télécoms, transports, agroalimentaire, médias, secteur spatial, technologies critiques (notamment intelligence artificielle, robotique, semi-conducteurs, cyber-sécurité, technologies quantiques).

En Allemagne et en Italie, l’extension des secteurs sensibles avait commencé avant la crise du Covid 19. Ainsi, en 2016, le dispositif allemand a été significativement révisé de façon à couvrir les infrastructures critiques, les logiciels, le cloud-computing et un nombre important de secteurs (télécoms, énergie, eau, finance, assurance, santé, transports et alimentation). L’Italie a également inclus en mars 2019 la technologie 5G au rang des secteurs stratégiques. Dans ces deux pays, le mouvement d’extension des secteurs contrôlés a connu une accélération avec la crise du COVID-19 et se poursuit encore aujourd’hui. Sans surprise, la protection s’est focalisée sur la santé. L’Italie a ainsi inclus le champ de la protection aux infrastructures critiques du secteur de la santé. Depuis juin 2020, l’Allemagne contrôle les investissements étrangers dans les entreprises produisant notamment des médicaments ou des diagnostiques in vitro en lien avec les maladies mettant en danger la vie humaine et hautement infectieuses.

Jusqu’en 2020, l’Espagne prévoyait un régime d’autorisation des investissements étrangers limité à certains secteurs clés (défense nationale ou transport aérien). Le gouvernement espagnol a procédé à une réforme radicale dans le contexte de la pandémie en élargissant les secteurs protégés aux principales industries critiques (énergie, eau, télécommunications, etc.), à la santé publique, aux médias, aux technologies critiques ou aux activités portant accès à des données sensibles. Notons que l’Espagne s’est alignée sur l’Italie et l’Allemagne en étendant la protection aux infrastructures critiques réelles ou virtuelles du secteur financier.

Quelques nuances existent dans les approches. Ainsi, l’Espagne et l’Allemagne (notamment suite à une modification récente) prévoient une définition large du concept d’« infrastructure critique » permettant d’englober un nombre important d’industries. Les approches italienne et allemande se distinguent surtout par la place importante faite à des critères de filtrage plus détaillés et objectifs, notamment des seuils de matérialité calculés en volume, qui améliorent la prévisibilité du contrôle. L’approche espagnole adopte des définitions plus larges des secteurs protégés mais elle prévoit un seuil de minimis qui exempte de notification les opérations dont la valeur de la partie espagnole de l’investissement est inférieure à 1 million d’euros (estimation qui, en pratique, n’est pas toujours aisée à effectuer).

Cette tendance à l’extension des secteurs protégés présente un défi redoutable aux autorités en charge du contrôle, en termes de gestion administrative des dossiers. Selon les données disponibles, le nombre de notifications serait ainsi passé en Italie de 83 en 2019 à 341 en 2020. Au final, dans ces trois pays, comme en France, le nombre de secteurs qui échappent au contrôle des secteurs sensibles se réduit au fil du temps. L’exception a donc tendance à devenir la règle.

II.Une volonté d’étendre le type d’investissements soumis à autorisation préalable

Tant l’Italie, l’Allemagne que l’Espagne contrôlent tous les investissements d’origine extérieure à l’UE/AELE, indépendamment des secteurs sensibles concernés. La situation est plus contrastée pour les investisseurs EU/AELE ou EEE.

En Allemagne, ces investisseurs sont exemptés d’autorisation préalable lorsqu’ils investissent en dehors des secteurs de la défense et la sécurité nationale. En Italie, ils sont soumis au contrôle dans tous les secteurs sensibles en cas de prise de participations contrôlantes. Enfin, l’Espagne garde une approche plus libérale en filtrant les investissements d’origine UE/AELE uniquement au-delà de certains seuils calculés en valeur globale de la transaction (500 millions d’euros pour les sociétés non cotées et 1 milliard d’euros pour les sociétés cotées sur le marché espagnol). Le dispositif espagnol impose en revanche une autorisation préalable aux investisseurs contrôlés par des Etats extra-européens, indépendamment des secteurs sensibles concernés (sous réserve du seuil de minimis mentionné plus haut).

Si les acquisitions de participations contrôlantes sont couvertes par les trois régimes, les dispositifs de protection s’étendent également aux prises de participations minoritaires. Selon les secteurs, les systèmes italien et allemand ont une approche très protectrice notamment pour les investissements dans la défense avec des seuils de contrôle en participation très bas fixés à 3% (Italie) et 10% (Allemagne). L’Espagne applique un seuil de 10% mais, comme mentionné précédemment, une partie non négligeable des investissements en provenance de l’UE/AELE échappent au contrôle en raison des seuils relativement élevés en valeur de la transaction.

En conclusion, malgré quelques nuances dans les approches, les trois pays connaissant des tendances similaires. Les statistiques disponibles montrent également que l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne autorisent la majorité des opérations contrôlées, parfois sous réserve d’engagements, et que les cas d’interdictions restent plutôt rares et concernent des investisseurs extra-européens.

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